
Hier après-midi, le chef de la République Populaire de Donetsk (RPD), Alexandre Zakhartchenko, est mort suite à un attentat terroriste perpétré dans le café du centre de Donetsk où il se trouvait.
Je n’étais pas loin du lieu où ça a eu lieu, j’étais en train de travailler. Quand l’explosion a retenti, ma première pensée fut : attentat terroriste ou bombardement ? J’ai vu les gens courir sur le boulevard Pouchkine. J’ai attendu deux minutes pour m’assurer qu’il n’y en aurait pas d’autre, puis je suis descendue et je suis partie dans la direction que fuyaient les gens.
Les voitures de police se sont précipitées sur les lieux sirènes hurlantes. Le temps d’arriver sur place, un cordon impressionnant était déjà en place. Interdiction d’approcher ou de filmer.
Puis les premières rumeurs sur la mort de Zakhartchenko ont commencé à circuler. Je ne voulais pas y croire. Je me raccrochais à l’idée qu’il était en vie, qu’il en avait réchappé comme à chaque fois (c’était le septième attentat contre lui).
Et puis après une longue attente la confirmation officielle est tombée. Beaucoup de mes collègues journalistes et moi-même étions sous le choc, certains, comme moi, en larmes. J’ai été incapable de faire une vidéo hier soir pour expliquer la situation, tant les larmes ne voulaient cesser de couler.
Alexandre Zakhartchenko n’était pas un de mes amis, mais j’avais une estime, et un respect immense pour lui. Et pour comprendre pourquoi sa mort m’affecte autant que s’il avait été un ami, je me dois de vous raconter une histoire qui remonte à 2016, et que je n’ai pas racontée à beaucoup de personnes.
En août 2016, pour la première fois, j’assistais à une conférence de presse du chef de l’État. J’avais une question à lui poser sur l’octroi de passeports de la RPD aux volontaires étrangers civils (journalistes, humanitaires, médecins, etc).
Au départ ce jour-là je devais aller sur le front, alors j’étais en uniforme. Mais le voyage fut annulé. Je décidais donc de reste travailler au bureau, lorsque notre assistante m’appelle pour me signaler que la conférence de presse (que j’attendais depuis plusieurs semaines, et qui était annulée systématiquement à la dernière minute) allait avoir lieu d’ici 30 minutes et que je devais me rendre sur place tout de suite.
Pas le temps de me changer. J’en fait part à notre assistante, qui me dit « Tant pis, vas y comme ça, il n’y a pas le choix ». Alors allons-y.
Une fois sur place j’attends avec les autres journalistes. Toutes les autres femmes journalistes sont en tenue d’été féminine et sexy. Je suis la seule en uniforme. Je détonne clairement, et elles me regardent presque toutes de travers, en mode « c’est quoi ça ? ».
Seule Katia, qui va me servir de traductrice, ne réagit pas ainsi, il faut dire que nous travaillions déjà ensemble depuis plusieurs mois.
Nous entrons, chacun et chacune pose sa question et vient mon tour. À l’époque mon russe est plus que mauvais alors je pose la question en anglais et Katia traduit en Russe. La réaction du chef de l’État est déconcertante. Il me fixe pendant tout le temps où je pose ma question, puis pendant la traduction, et enfin il sort un truc totalement inattendu :
« Tout d’abord j’aime votre tenue. Vous êtes une journaliste étrangère et cela me fait plaisir de vous voir en uniforme et votre interprète quasiment en t-shirt rayé de marin. Mais ce n’est pas un vrai t-shirt rayé de marin, alors je vais vous offrir aujourd’hui deux cadeaux – de vrais t-shirts rayés de marin (tielnachka). D’accord ? »
J’étais sous le choc. Je ne m’attendais absolument pas à ça. Ce que vous ne percevez pas sur la vidéo c’est la réaction des autres journalistes. Alors que certaines papotaient entre elles la réponse du chef de l’État leur impose le silence. Et toutes et tous se tournent vers moi étonnés. Ils n’en reviennent pas.
Ensuite il me répond en disant qu’en tant que journaliste étrangère je serai la première à recevoir un passeport de la RPD (et il tiendra sa parole). À la sortie, la réaction des autres journalistes change du tout au tout. Tout le monde vient me voir, se présente, etc. À partir de ce jour plus personne n’a été étonné ici de me voir en uniforme.
À la fin de la conférence de presse, le chef de l’État nous remettra les deux tielnachkas. Je possède toujours la mienne, et je la porte régulièrement.

Je la portais le jour où Alexandre Zakhartchenko m’a accordé la citoyenneté de la RPD, et le droit de demander un passeport, quelques semaines plus tard, lors d’un show télévisé auquel je participais à ses côtés. Le chef de l’État était ravi que je porte son cadeau avec mon uniforme.

Alexandre Vladimirovitch Zakhartchenko était un homme simple, franc, juste et bon. Un grand chef, courageux et droit. En tant que dirigeant il a bien sûr fait des erreurs car nul n’est parfait, mais même son ennemi politique qu’est Pavel Goubarev n’a pu que faire l’éloge des qualités de celui que tout le monde surnommait « Zakhar » ou « Batia ».
Si Zakhar n’était pas mon ami, je le considérai presque comme tel. Je le portais, le porte et le porterai toujours dans mon cœur car il était un homme de bien, et un grand chef. Un homme juste et au grand cœur, comme il l’a prouvé en ce jour d’août 2016. C’est pour cela que sa mort m’est aussi difficile et terrible.
Adieu Alexandre Vladimirovitch Zakhartchenko. Vous avez été un grand homme et un grand chef. Puisse Dieu vous guider jusqu’à la place qui est la vôtre de l’autre côté. Vous allez nous manquer terriblement ici. Vos sorties franches, directes et ironiques vont nous manquer. Le Donbass vous pleurera, et vengera votre assassinat.
Christelle Néant